Renaud Bettin est chargé de mission solidarité climatique, responsable du programme de compensation de l'ONG GERES (Groupe Energies Renouvelables, Environnement et Solidarités) au CO2 Solidaire. Il répond aux questions de Vedura sur les programmes de compensation carbone pour les entreprises et les particuliers.
Vedura - Pouvez vous nous expliquer le principe de compensation carbone par un exemple simple ?
Renaud Bettin - Vous agissez au quotidien pour limiter vos émissions de gaz à effet de serre, que vous soyez une entreprise, une association ou bien un particulier. Vous veillez à limiter vos consommations énergétiques, à privilégier des modes de transports peu émetteurs en CO2, à choisir de partir en vacances moins loin et plus longtemps, ou encore à trier vos déchets…
Cependant des émissions de GES subsistent. La compensation carbone volontaire consiste à financer sur un projet économe en CO2 une quantité équivalente à l’ensemble ou à une partie de ces émissions dites résiduelles.
- Comment calculez vous les émissions de CO2 ? Combien en avez vous compensé jusqu’à maintenant ?
Le calculateur CO2Solidaire se base sur les facteurs d’émissions définis par l’ADEME. Il s’agit de ceux qui sont utilisés dans le cadre de la méthodologie Bilan carbone ©. D’ailleurs, CO2Solidaire ne réalise pas de Bilan carbone © mais propose simplement d’évaluer ses émissions sur la base de données fournies par un particulier ou une entreprise (kWh consommés, Km parcourus).
Depuis 2004, CO2Solidaire a permis de compenser plus de 26 700 tonnes équivalent CO2. Les sommes ainsi collectées contribuent au financement des projets de développement mis en œuvre sur le terrain par le GERES (Groupe Energies Renouvelables, Environnement et Solidarités).
- Le GERES a lancé CO2Solidaire, le premier programme français de compensation carbone. Comment a t-il été accueilli en 2004 ? En 6 ans, les mentalités des entreprises et des particuliers ont-elles évoluées ?
Des initiatives de ce type existaient déjà dans les pays anglo-saxons, nous n’avons rien inventé. Mais nous étions la première ONG française à actionner le levier de la finance carbone pour accélérer le développement de nos projets dans les pays du Sud. A ses débuts, CO2Solidaire a, dans l’ensemble, été bien accueillie mais comme toutes opérations novatrices, plusieurs années auront été nécessaires pour bien faire comprendre les tenants et aboutissants de ce mécanisme !
Aujourd’hui, la compensation est bien mieux connue des entreprises qui y voient, pour la plupart, un moyen de communiquer sur son engagement dans la lutte contre les changements climatiques. Depuis 2004, nous veillons justement à ce que la compensation s’inscrive dans une démarche globale : elle doit valoriser les efforts de réduction consentis par ces mêmes entreprises. La compensation doit également être accompagnée d’une sensibilisation à la vulnérabilité des pays du Sud face aux bouleversements climatiques, et ne pas se cantonner à une simple action d’affichage. Beaucoup de pratiques liées à la compensation carbone sont malheureusement aujourd’hui à déplorer.
- Le GERES a participé à l’élaboration de la charte de l’ADEME sur les bonnes pratiques des opérateurs de compensation carbone. Comment différencier un bon opérateur d’un mauvais ?
1 - La réduction à la source de nos propres émissions de GES est l’enjeu essentiel. L’opérateur de compensation doit être conscient de sa responsabilité et doit être plus que vigilant sur le niveau d’engagement de l’entreprise en matière de responsabilité environnementale. La compensation n’est pas "la solution" à la lutte contre les changements climatiques.
2 – Ensuite, la question des bénéfices socioéconomiques pour les populations locales sur le projet soutenu est primordiale. En effet, aussi nécessaires que soient les projets purement environnementaux, nous considérons que les mécanismes de projet liés au changement climatique doivent impérativement avoir des impacts économiques et sociaux pour les populations. C'est d'autant plus vrai lorsqu'ils sont mis en œuvre dans les pays les plus pauvres de la planète.
- La compensation carbone n’est efficace que si des efforts sont aussi réalisés à la source pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Un opérateur a t-il des moyens pour contrôler les efforts fournis ?
Il s’agit effectivement pour l’opérateur d’avoir une vision affinée et actualisée des politiques environnementales des entreprises qui souhaitent compenser leurs émissions de GES. Pour cela l’opérateur doit recueillir un maximum d’informations sur le fonctionnement de l’entreprise et sur sa capacité à réduire son empreinte sur le climat.
Aujourd’hui, de nombreux bureaux d’études (BE) spécialisés dans la stratégie carbone (Bilan carbone ©, Plan de Déplacement Entreprise, diagnostic énergétique, Plan Climat Territorial…), proposent également la compensation. L’accompagnement des entreprises vers la réduction de leurs émissions constitue pour ces "BE-opérateurs" une garantie en matière de suivi et d’efficacité des réductions des émissions. Cependant, le risque de voir ces prestataires devenir juges et parties reste grand. La neutralité du prestataire est à prendre en compte avec la plus grande considération.
Du côté de CO2Solidaire, le partenariat se base sur une sorte de contrat moral basé sur la confiance et l’engagement à continuer de réduire ses émissions de GES à la source. Nous prônons la distinction entre BE et opérateurs de compensation et préférons nous associer avec ces mêmes BE pour qu’une fois qu’ils se sont assurés de l’engagement de leurs clients vers une réelle réduction de leurs émissions, ils prescrivent CO2Solidaire.
- Concrètement, quelles sont les différentes étapes et partenaires au cours d’un projet de compensation (de la prise de conscience d’une entreprise ou d’un particulier "au Nord" au projet finalisé "au Sud") ?
Il y a 2 niveaux : le GERES et CO2Solidaire. CO2Solidaire étant le programme de compensation de l’association GERES.
Le GERES, en tant qu’ONG de terrain, mène ses activités en partenariat avec les différents acteurs du territoire, groupements ruraux, associations, entreprises, collectivités, institutions – afin de mutualiser les compétences et les connaissances. Adopter une démarche participative est une condition nécessaire à l’appropriation locale des résultats et à la durabilité des activités. Ainsi, chaque partenaire est impliqué dans l’élaboration du projet et participe à son bon déroulement.
CO2Solidaire est à l’interface entre les projets du GERES et les entreprises mécènes qui souhaitent soutenir nos actions. Celles-ci ont la possibilité de choisir un projet (Maroc, Cambodge, Afghanistan, ou Himalaya Indien) à soutenir. Très concrètement, la formalisation d’un partenariat avec une entreprise passe par la signature d’une convention et se déroule comme suit :
• S’assurer de la volonté du partenaire de s’impliquer dans une démarche globale de réduction à la source de ses propres émissions, conformément à la charte CO2Solidaire
• Estimer les émissions de GES des entreprises à travers un audit simplifié de CO2Solidaire ou . si l’entreprise n’a pas réalisé de Bilan carbone © en amont
• S’accorder mutuellement sur nos attentes à travers la convention de partenariat.
• Valoriser le partenariat en accompagnant nos partenaires (sensibilisation interne, communication, etc.). En matière de communication, nous veillons à ce que la compensation ne devienne pas le point focal de l’entreprise au détriment de sa politique de réduction.
• La transmission du certificat de compensation et le reçu pour don. Le certificat de compensation assure l’unicité des crédits carbone.
CO2Solidaire compte aujourd’hui près de 90 partenaires de toute origine : entreprises de toutes tailles, institutions publiques, association, professions libérales… Nous refusons cependant les partenariats avec des structures qui favorisent une surconsommation d’énergies fossiles (compagnies de jet privé, rallyes…).
Enfin, nous pouvons également d’intervenir au sein de l’établissement partenaire, afin d’impliquer les salariés et collaborateurs, et d’expliquer la démarche de Solidarité climatique dans laquelle s’est engagée le partenaire, la nature des projets conduits sur le terrain, les enjeux en matière de développement, les contraintes et les limites de la compensation…
- Vous souhaitez une compensation carbone plus éthique et vous défendez le fait que la lutte contre les changements climatiques doit intégrer des bénéfices socio-économiques pour les populations démunies. Auriez-vous un ou deux exemples dans vos projets (récents ou en cours) qui illustrent ces bénéfices ?
Tous les projets du GERES apportent un bénéfice social pour les populations des pays dans lesquels nous sommes présents. C’est même notre objectif principal ! Le GERES agit depuis plus de 30 ans auprès des populations les plus démunies pour réduire la pauvreté, notamment par l’accès à l’énergie. A ce jour, sur une trentaine de programmes de développement, seuls quatre valorisent des économies de CO2 mesurables : nous n’agissons pas dans les pays du sud pour générer un maximum de crédits carbone, ni même dans l’unique objectif de réduire leurs émissions de GES.
A titre d’exemple, le programme de diffusion de foyers améliorés destinés à la cuisson domestique au Cambodge permet de réaliser des économies sur l’énergie (principal poste de dépenses des ménages). En milieu rural, les économies d’énergie se traduisent par la réduction du temps e collecte de la biomasse, une tache pénible qui concerne principalement les femmes et les enfants. Enfin l’utilisation de foyers améliorés permet également la réduction significative des émissions de particules fines et de monoxyde de carbone.
A plus grande échelle, il est possible de constater que cet outil répond à un besoin concret pour la population : à ce jour, un million de foyers ont été fabriqués par des artisans locaux et diffusés sur les marchés depuis 2003. Les 30 centres de production des foyers améliorés, et l’ensemble de la filière de diffusion a généré une création significative d’emplois sur l’ensemble du territoire.
- Comment se passent les relations avec les populations du Sud ? Quels sont leurs retours ?
Chacun des programmes de développement que nous menons se base sur une étude précise des besoins des populations afin d’y répondre au mieux. Celle-ci peut durer jusqu’à 2 ans. Ensuite la phase pilote peut elle-même durer jusqu’à 2 ans avant qu’un programme d’action plus long ne soit mis en place (diffusion de masse de la technologie retenue : four de cuisson amélioré, standards bioclimatiques dans les bâtiments).
2 mots clés illustrent notre philosophie d’intervention : la participation et l’appropriation. La participation des populations locales est un gage de qualité et de succès d’un projet de développement. Elle induit une part importante de transfert de compétences et de renforcements des capacités des acteurs locaux (ONG, artisans, institutions publiques).
Cette participation amène à l’appropriation du projet par les populations. C’est le signe que les populations reconnaissent les bénéfices du projet qui améliore significativement leurs conditions de vie.
- Avez vous un message particulier à faire passer ?
Oui, la prise de conscience de l’urgence climatique est une bonne chose en matière de réduction des émissions des pays du Nord. Mais nous avons une autre responsabilité à endosser : l’accompagnement des populations les plus vulnérables face aux conséquences du changement climatique qui n’en sont toutes fois pas responsables.
Selon le PNUD, les populations pauvres sont 80 fois plus vulnérables que le Nord face à ces dérèglements. Il est ici question de justice : les 15,5% les plus riches individus de la planète émettent 77,9% des émissions GES mondiales (Source : www.ecoequity.org) ! Aux enjeux climatiques actuels et futurs se superposent des enjeux humains. La compensation ne doit donc pas être un achat de conscience mais un moyen de prendre conscience et de faire preuve de Solidarité climatique.
Pour plus d'informations, consultez le site de CO2 solidaire.